ESJ Lille : André, passé trop à l’Est

L’Ecole supérieure de journalisme de Lille fête ces jours-ci ses 90 ans. Alors je pense à André.

André Mouche a été directeur de l’ESJ de 1980 à 1990. Je l’ai d’abord connu pendant mes études dans la vénérable maison lilloise. Il oeuvrait dans l’ombre d’Hervé Bourges, alors directeur de l’école, puis il lui a succédé. J’ai retrouvé André en 1988 lorsqu’il m’a proposé de devenir responsable des enseignements de presse écrite de l’ESJ. L’homme m’ est apparu à la fois franc et taciturne. Il s’enfermait dans son bureau, des heures, voire des semaines durant. Comme mes collègues, j’ai appris à travailler sans lui. André était là mais il n’était pas là. C’était ainsi.

Les mois ont passé. Peu à peu, j’ai découvert un André Mouche intelligent, souvent brillant, mais toujours secret. Torturé aussi. A l’extérieur, loin des murs de briques de l’école, André parlait, se confiait un peu, riait et savait offrir son amitié. Rien à voir avec le masque de patron gris et froid qu’il offrait aux heures de bureau et derrière lequel on devinait qu’il luttait.

En 1990, André s’est rendu en Roumanie pour y effectuer une mission pour le compte du ministère des Affaires étrangères. Il s’agissait d’évaluer la situation des médias roumains juste après la chute de Ceausescu et de jeter les bases d’une coopération franco-roumaine en matière de formation au journalisme. Sans entrer dans les détails, on dira qu’André, fragile, fatigué, a mal vécu son séjour sur place. Sa mission a été interrompue. Comme j’étais moi-même également présent à Bucarest où j’encadrais un groupe d’étudiants de l’ESJ, il m’a fallu organiser le retour en France d’un André déstabilisé par ce pays de l’Est en plein capharnaüm post-communiste. Quelques semaines plus tard je suis retourné à Bucarest pour terminer le travail entamé par André Mouche et créer un jumelage entre l’ESJ Lille et la Faculté de Journalisme de Bucarest. Ce beau programme allait me conduire à m’installer pour trois ans en Roumanie et à entamer un cycle de près de quinze années passionnantes « à l’Est ».

Ainsi, sans André Mouche mon parcours professionnel aurait été fort différent. J’y pense fréquemment depuis ces années 90 et tout particulièrement en ces jours de fête et de commémoration pour l’ESJ. Après le « pétage de boulons » roumain, André a du quitter son poste de directeur de l’école lilloise. Du jour au lendemain il s’est retrouvé au chômage et – cela ne s’invente pas – c’est à l’ANPE (Agence nationale pour l’Emploi) qu’il a fini par retrouver un travail. Il est mort en 2001, à 58 ans.  Je suis heureux d’avoir partagé quelques-uns de ses bons et de ses mauvais jours.

Marc Capelle

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Marc Capelle

L'ESJ Lille, les Affaires étrangères, les routes de l'Est, quelques livres.

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