Elle arrive généralement vers 16 heures. L’heure du thé. Son petit chapeau délicatement posé sur ses cheveux blancs, elle s’installe à sa table, toujours la même, côté rue. Maréchal Tito, la rue. Elle l’a d’ailleurs peut-être connu, le maréchal. Avec son tailleur bleu, la petite dame est un exemple d’élégance. Les clients du café Imperijal sont généralement plus discrets que ceux qui fréquentent les nouveaux bars bruyants et clinquants de la ville. L’Imperijal, avec ses boiseries, son patron qui veille sur son petit monde, garde la mémoire de la vie d’avant. A l’époque on savait se tenir, on se saluait entre voisins et on venait au café pour lire le journal.
Mirko, le grand serveur au dos un peu voûté, dépose le plateau avec la théière bien dosée en earl grey devant la petite dame. Elle lui sourit faiblement comme d’habitude. Ils se connaissent bien tous les deux. Avant la guerre déjà, elle venait chaque jour à L’Imperijal et Mirko, pantalon noir et veste immaculée, l’accueillait toujours d’un chuchotement. « Bonjour Madame, vous êtes magnifique aujourd’hui ! Prenez place, je suis à vous dans une minute ».
Pendant qu’à petites gorgées elle déguste son thé, la dame en bleu ne dit rien. De temps en temps, elle salue un client d’un petit signe de tête et se replonge dans ses pensées.
A quoi pense t-elle ? Elle est restée là pendant le siège de la ville. C’est une résistante. Une résistante silencieuse. Un jour, bientôt peut-être, elle ne sera plus là. Elle ne viendra plus prendre le thé à L’Imperijal. Elle sera passée sans bruit. Et nous serons encore un peu plus seuls.