
L’après-midi, l’église du village de mes grands-parents était vide. Nous entrions discrètement – à cette époque, les années 60, les églises étaient ouvertes en permanence en journée – et nous allions droit au but. « Nous », c’était moi et un garnement de mon âge mais plus déluré que le garçon bien sage que j’étais alors. Le grand jeu consistait à saisir quelques cierges sur le présentoir près du bénitier et de la statue de Sainte-Rita ou de Saint Antoine de Padoue, à les allumer puis à faire tomber la cire brûlante. En coulant, elle formait des petites bulles qui éclataient délicieusement sur le sol. Nous étions bêtement contents de nous et, évidemment, nous recommencions le lendemain et le surlendemain. Nous étions en vacances et il fallait bien trouver quelques occupations un peu plus originales que le sempiternel tour à la plage.

La plage… De temps en temps, nous nous glissions aussi à l’intérieur de la petite chapelle dédiée aux marins et qui lui faisait face. Nous regardions silencieusement les ex-voto cloués sur les murs. Rien dans ce lieu ne nous inspirait la moindre farce. La mémoire des marins perdus en mer et de leurs familles en deuil imposait le respect aux citadins que nous étions, impressionnés par ce monde inconnu et inquiétant. Parfois, au coin d’une rue, je voyais, à pas menus, arriver mon arrière grand-mère vêtue de noir. Les gens du coin l’appelaient « mémère bigotte », paradoxalement parce qu’elle n’aimait guère fréquenter l’église où je m’amusais en cachette. Elle me faisait peur, alors je changeais de trottoir.
