A propos des photos sans légende

L’image occupe depuis quelques décennies une place prépondérante dans nos vies, mais elle reste un impensé de l’enseignement. Nous avons tous des smartphones, nous prenons tous des photos, nous utilisons tous des applications et des réseaux qui nous incitent à nous exprimer en images. Et nous le faisons. Mais nous n’avons pas appris à le faire. Dans le meilleur des cas, il faut attendre l’âge adulte pour éventuellement s’offrir une formation à la photo. À l’école, on apprend à s’exprimer par écrit, un peu à l’oral. Mais pas par l’image (ne pas confondre avec apprendre à lire les images des autres).

Or, quel que soit le sujet choisi, les photos que nous prenons et que nous publions parlent aussi de nous. Elles nous racontent et nous dévoilent. Souvent, elles en disent plus que nos mots.

Si notre curriculum vitae était construit autour de certaines de nos photos, à quoi ressemblerait-il ?

Par ailleurs, je suis convaincu qu’une photo doit se suffire à elle-même. Si elle doit absolument être assortie d’une légende, elle perd une grande partie de sa force. Je ne suis pas photographe mais, comme tout le monde, je regarde des photos chaque jour. Je conçois qu’une indication nous précise le lieu et la date de la prise de vue et, s’il y a lieu, l’identité de la ou des personne(s) photographié(e)s. Mais je n’aime pas qu’un texte vienne m’expliquer ce qu’il faut regarder, ou comment il faut regarder la photo. Je n’ai pas envie que l’on m’impose une interprétation de l’image que j’ai sous les yeux. Auriez-vous envie de lire un livre truffé d’explications de texte ? Il ne s’agit pas ici d’une règle d’or piochée dans je ne sais quel manuel du « bon usage de la photographie ». C’est simplement mon choix.

En apparente contradiction avec ce que je viens d’écrire, je réfléchis à la rédaction d’un petit livre qui proposerait des textes sur une sélection de mes photos. Mais ces textes ne seraient pas des légendes (ouf !). L’idée serait plutôt d’essayer de regarder derrière l’image. Raconter quelque chose à partir d’une photo. Pas une légende donc, mais une histoire. J’essaierai. Peut-être.

Je n’ai plus rien à vous dire

Un matin, il s’est retrouvé comme tous les matins devant son écran. Mais ce matin là, c’était un matin spécial. Les autres matins il savait pourquoi il était devant son écran. Comme bien d’autres – enseignants, universitaires, avocats, adjoints au maire, journalistes, artistes…. – son boulot consistait à s’exprimer et donc à écrire de temps en temps quelque chose. Il publiait ensuite ce petit quelque chose sur « le Net » et en particulier sur les réseaux sociaux. C’était sans doute un progrès car il avait connu l’époque où les réseaux sociaux et les écrans n’existaient pas. Les scribes couchaient alors leurs réflexions dans des rapports interminables ou dans des revues que personne ne lisait.

Et puis, est venu ce matin où tout a changé car il n’avait plus d’obligation professionnelle de publier quoique ce soit. Ce jour-là, pour la première fois, il s’est demandé ce qu’il faisait devant son écran. Il a néanmoins tenté de surmonter son inquiétude. Par habitude, il a continué à écrire. Il se disait qu’il lui fallait entretenir son image numérique et qu’être en ligne, c’était exister encore un peu. Il était vaguement persuadé de pouvoir encore produire quelque chose qui méritait d’être lu. Alors, il a maintenu une présence sur Facebook, sur Twitter, sur Instagram (où l’on écrit avec des photos). Mais assez vite, il a constaté que sa petite place dans cet univers virtuel n’était plus la même qu’auparavant. Il n’était plus « en situation », comme disent les commentateurs accrédités. Ainsi, s’il questionnait publiquement tel ou tel expert sur un sujet d’actualité internationale ou de société, il n’obtenait par forcément de réponse. D’une manière générale, ses messages, ses posts, ses tweets, ne retenaient plus l’attention que de quelques personnes, d’anciens collègues souvent. On l’ignorait. Il était démonétisé.

Il lui avait fallu un bon moment – quelques années à vrai dire – pour accepter cet effacement progressif mais inéluctable. D’acteur il était devenu observateur. Il ne faisait plus partie de « ceux qui en sont ». C’était comme ça.

Il restait néanmoins fidèle à son rendez-vous matinal avec son écran. Aussi, un matin, avant de sortir pour affronter le vrai monde, il se décida à envoyer sur tous les réseaux le message qu’il ruminait depuis la veille.

« Je n’ai plus rien à vous dire ».

La réunion de service

La réunion de service a lieu tous les mardis à 8 heures tapantes. A 8 heures moins cinq nous sommes déjà au complet, assis autour de la table et nous l’attendons. A 8 heures, la porte s’ouvre et l’ambassadeur fait son entrée. Tout le monde se lève. Nous sommes une dizaine, presque au garde à vous, regards accrochés au mur d’en face. L’ambassadeur, notre seigneur et maître, a quasiment droit de vie et de mort sur nous tous. Le premier qui fera le malin est forcément un kamikaze.

« Bonjour » fait-il en s’installant en bout de table. Tout le monde s’asseoit.

« Monsieur le conseiller culturel, nous allons commencer par vous ce matin. Vous avez des choses importantes à nous dire ? ». Le pauvre gars a quelques secondes pour décider si l’envoi de cinquante étudiants en stage en France fait vraiment partie des « choses importantes ». Il décide de passer son tour. « Non, Monsieur l’ambassadeur, rien de particulier ».

L’autre, l’air faussement distrait, est en train de pianoter un texto et enchaine. « Morne plaine, comme d’habitude. Colonel, où en sommes nous avec cette vente d’hélicoptères ? ». L’attaché de défense bredouille quelques explications, fait le point sur ce dossier en forme de serpent de mer, évoqué à chaque réunion de service depuis près d’un an.

Pendant ce temps-là, le type des « services », un long bonhomme tout en nerfs, prend des notes. Après tout, c’est son boulot. Je le soupçonne depuis un bon moment d’enregistrer ces séances du mardi et de transmettre des indiscrétions à sa hiérarchie. Son job quoi.

Vient le tour du chef de la mission économique. Celui-là vise le poste de Los Angeles depuis un bon moment. Alors, il joue au premier de la classe. Des chiffres, des statistiques, des montants d’investissements et le compte rendu de la dernière visite d’une délégation de chefs d’entreprises du Limousin. Bref, il emmerde tout le monde. L’ambassadeur continue de jouer sur son téléphone. Il n’a pas désactivé le son des touches. C’est énervant. Tic, tic, tac, tac, tac…

Comme chaque mardi, le représentant de l’ambassade à l’autre bout du pays se fait passer un savon. Le bonhomme arrive chaque lundi soir, exténué après six heures de route de montagne, s’installe à l’hôtel, assiste à la réunion du mardi matin pour se faire engueuler, puis repart pour six heures de voiture. Serviteur de l’Etat et paillasson de Son Excellence. Un métier.

Il est environ 9 heures quand l’ambassadeur prend la parole. Comme chaque mardi, il rappelle qu’il faut griller les Américains, faire plus vite et plus fort qu’eux. Au passage, il évoque son dernier entretien avec le chef de l’Etat et rappelle, comme chaque mardi, que «dès maintenant, nous devons tous nous préparer à organiser une magnifique réception pour le 14 juillet ». « Et d’ailleurs, monsieur le conseiller culturel, j’attends toujours vos listes de personnalités pour les invitations ».

A 9 h 15, la réunion est terminée. Tout le monde se lève et s’efforce de rester tête baissée. Respect et soumission. L’ambassadeur se hâte vers la sortie, téléphone à l’oreille. « Ah, monsieur le ministre ! Oui, oui, bien sûr ! Avec plaisir ».

Le consul qui jusque-là n’avait rien dit, souffle un bon coup en nous regardant. « Bon, au moins aujourd’hui c’était rapide ! ».

Quand nous jouions à la guerre

Enfants des années 60, essentiellement des garçons, nous jouions souvent à la guerre. C’était bien avant les Playmobil, les aventures d’Harry Potter et les jeux vidéos. La Seconde guerre mondiale n’était pas très loin et son souvenir alimentait régulièrement les discussions familiales. Dans les magasins, des armées attendaient les gamins auxquels on offrait à Noël des troupes allemandes, américaines, anglaises… Ces petits soldats n’étaient plus en plomb, mais en plastique, ce qui mettait la section, voire la compagnie, à la portée de presque toutes les bourses.

A quatre pattes dans le salon, dans le jardin ou sur le trottoir, stratèges de dix ou douze ans, nous reconstituions le débarquement de Normandie ou les batailles de Rommel dans le désert. Nous nous soucions peu de la vérité historique que de toutes façons nous connaissions mal. L’important était d’organiser l’affrontement des bons contre les mauvais. Selon la motivation des participants, les combats pouvaient durer une heure ou quelques jours, interrompus par les heures de classe ou de sommeil.

Aujourd’hui, si les enfants aiment toujours les combats, ils jouent moins à la guerre. Ils entrent dans la peau de personnages inspirés par leurs lectures ou les séries télévisées. Ils sont chevaliers, policiers, super-héros. Ils adorent les parties de laser game. Mais, contrairement peut-être aux adultes attirés par les « wargames » sur écran, la guerre de leurs grands-parents n’alimente plus leur imagination.

Autre différence avec les années 60 : la guerre, la vraie, est présente en permanence à la télévision et sur les tablettes. Dans les pays en paix, les enfants regardent le 20 heures et voient la guerre. Selon les jours et leur âge, ils détournent le regard ou posent des questions. Contre leur gré, ils perdent sans doute ainsi un peu de leur insouciance. Ce n’était sans doute pas le cas quand ils jouaient avec leurs soldats de plastique.

L’inconnu de Jurmala (dernier jour)

A Jurmala il descend du train à la station Majori et se dirige vers la rue indiquée hier par Janis. L’animation de la station balnéaire, l’aisance affichée par certaines familles (russes mais pas seulement), le surprennent.

Puis, soudain, il le voit. Incroyable hasard. Ou alors ? Il est installé à une terrasse devant un journal et un café, en compagnie de trois types de son âge. Le vieux Paul. Palvis désormais. Les cheveux longs et blancs, une veste de treillis hors d’âge et un jean usé lui aussi. Leurs regards se croisent et il comprend tout de suite qu’il l’a reconnu. Il sait alors qu’il n’ira pas vers Paul. « Je ne te connais pas. Dégage ! ». C’est exactement le cri que lui lancent les yeux de son ancien ami.

Il lui faut quelques secondes pour encaisser le choc de ce rejet muet, mais il continue son chemin et se retrouve sans difficulté devant la maison de Paul. Jamais il ne l’appellera Palvis. Une belle demeure en bois dans une petite rue, un jardin bien entretenu avec un coin potager. De son sac à dos, il extirpe une boite à chaussures soigneusement enveloppée dans du papier kraft. A l’intérieur, une centaine de photos de Sofia. Paul a une fille de quarante deux ans qu’il n’a pas vue depuis plus de trente ans, depuis qu’il est parti pour Riga et qu’il a tiré un trait sur sa vie d’avant. Sofia a longtemps tenté de retrouver son père. Un jour, elle a mis la main sur un vieux carnet où étaient consignés quelques noms. C’est comme cela qu’il a fait la connaissance de Sofia. Elle lui a confié cette boite de photos à remettre à Paul. Il y a sans doute une lettre aussi à l’intérieur. Après avoir jeté un oeil autour de lui, il dépose doucement le paquet devant la porte. Demain, il prend le vol Air Baltic pour Paris.

(Fin).

Si vous avez manqué le début :

« L’inconnu de Jurmala (premier jour)« 

« L’inconnu de Jurmala (deuxième jour)« 

« L’inconnu de Jurmala (troisième jour)« 

L’inconnu de Jurmala (troisième jour)

Janis a reporté à ce matin très tôt leur rendez-vous sur l’île de Kipsala. Il l’attendait devant l’une des vieilles et magnifiques maisons en bois que l’on trouve plutôt de ce côté de la Daugava que sur l’autre rive. Janis avait un peu forci mais pas vraiment vieilli. Après plusieurs années dans la sécurité privée, il venait de se retirer des affaires et tentait, difficilement, de mener une vie tranquille. Il lui a proposé de marcher le long du fleuve. La meilleure façon de discuter tranquillement et discrètement.

Ce que Janis lui a raconté à propos de Paul ne manque certes pas de sel, mais il a eu bien du mal à se montrer très surpris. D’abord il ne fallait plus parler de Paul mais de Pavils. C’est aujourd’hui un homme de près de quatre-vingts ans qui a réussi à se construire une nouvelle identité et une vie tellement effacée que personne ou presque ne le connait. Deux ou trois fois par an, Janis lui rend visite à Jurmala et jamais les deux hommes n’évoquent les années d’autrefois. C’est simple, Paul, l’ancien légionnaire, le guerrier, n’existe plus. Sa parfaite connaissance du letton est venue compléter son ancienne maîtrise du russe. Pavils ne boit pas une goutte d’alcool et cultive avec application des légumes qu’il distribue à des voisins persuadés qu’il est né à Jelgava et qu’après quelques années d’exil en France, il est revenu au pays dans le courant des années 1990. On ne lui connait aucune femme. Pavils est un papy solitaire et bougon.

Paul est décidément un sacré dissimulateur, se dit-il après avoir écouté Janis. Demain, c’est clair, il prendra le train qui relie Riga à Jurmala. Même s’il risque d’être énervé par le spectacle dont on parle en ville, des Russes fuyant Poutine, mais qui ne peuvent s’empêcher d’étaler leurs richesses sur la côte.

(A suivre)

Si vous avez manqué le début :

« L’inconnu de Jurmala (premier jour)« 

« L’inconnu de Jurmala (deuxième jour)« 

L’inconnu de Jurmala (deuxième jour)

Il n’a pas vu Paul depuis trente ans. Trente et un exactement. Depuis 1991, l’année où Paul a décidé de partir à Riga. Il voulait donner un coup de main aux Lettons en pleine bataille pour retrouver leur indépendance.

A partir de cette année là Paul a coupé les ponts avec tout le monde. Abrité derrière ses nouveaux amis, il s’est fait oublier. On savait seulement qu’après quelques années à Riga, il s’était installé à Jurmala, la station balnéaire toute proche.

Il a appris tout cela grâce à Janis, un ami letton avec lequel il a bourlingué autrefois en Hongrie. Ils sont restés en contact depuis cette époque un peu mouvementée. Janis est entretemps devenu un bon camarade de Paul, « ce vieux fou », comme il dit. Janis lui a fixé rendez-vous cet après-midi à Kipsala, la petite île sur la Daugava. « Je te raconterai. Tu ne vas pas être déçu » a t-il prévenu.

En attendant d’en savoir plus il va faire un tour sur Alberta Iela, cette rue où les façades de style art nouveau éblouissent les quelques touristes de passage. Il apprend ainsi que Mikhaïl Einsenstein, le père du cinéaste, est l’un des principaux architectes qui ont fait de Riga un des écrins du « Jugenstil » en Europe.

(A suivre)

Si vous l’avez manqué : voir « L’inconnu de Jurmala (premier jour)« 

L’inconnu de Jurmala (premier jour)

L’atterrissage un peu brutal du vol Air Baltic BT692 l’a réveillé et il lui faut quelques secondes avant de réaliser qu’il vient de se poser à Riga. C’est la première fois. Après Bucarest, on l’a expédié à Maputo (voir « L’inconnu du Palais Elisabeta »), mais très vite il s’est arrangé pour retrouver l’air de l’Est. Tbilissi, Bakou, Skopje, Pristina, Belgrade… Les missions se sont enchaînées, brièvement interrompues, en 2002, par quelques mois de purgatoire parisien pendant lesquels il a fait mine de s’intéresser au fonctionnement de la direction générale. Malgré la guerre en Ukraine qui secoue l’actualité depuis six mois, il n’est pas parti pour Kyiv. Mais quand il a appris qu’une mission de quelques jours en Lettonie était planifiée, il s’est immédiatement porté volontaire. L’occasion était trop belle. Le vieux Paul a t-il beaucoup changé ? A quoi ressemble sa planque à Jurmala ? Et Kaliningrad et Saint-Petersbourg, si proches ! Peut-être un soupçon d’imprévu au programme ?

Après quinze minutes de taxi, il arrive à l’hôtel prévu, sur Elizabetes Iela. Il tend un passeport à l’employée de la réception. Aujourd’hui, il s’appelle Vincent Aguerre, né le 18 juillet 1973 à Sainte-Engrâce.

L’ambassade de France est à deux pas, sur le boulevard Raina. Il choisit de se débarrasser sans tarder de sa corvée. Un pli confidentiel à remettre en mains propres à l’ambassadrice. Ensuite, il s’accordera un temps de flânerie dans la vieille ville avant de préparer la suite. Paul n’est pas informé de sa visite. Ce n’est sans doute pas plus mal.

(à suivre).

Aéroport de Vienne, antichambre de l’Est

Je suis arrivé cet après-midi à Sofia par un vol Balkans Airlines en provenance de Vienne. Le “duty-free” de l’aéroport de Vienne. Un monde à part. Une quinzaine de magasins et toutes les merveilles du monde occidental. Hommes d’affaires entre deux avions, cocottes parfumées entre deux affaires. Tout est mortellement propre. Direction le terminal B. Soudain, tout bascule. Passé le point de contrôle des bagages à main, l’humanité n’est plus la même. Les avions, ici, partent pour Tirana, Istanbul, Sofia… Les hommes d’affaires ont des allures d’hommes de main. Un vieux bonhomme à barbe blanche arbore ses médailles militaires bien haut sur la poitrine. Des femmes portent les foulards décorés de fleurs aux couleurs vives que l’on voit partout dans “l’autre Europe”.

Personne de ce côté-ci de l’aéroport n’a l’air gai. L’aéroport de Vienne est un poste-frontière. Personne ici n’utilise les cabines téléphoniques “à carte de crédit”. Ceux qui ont quelqu’un à appeler fouillent dans leurs poches pour en extirper les derniers schillings. Puis ils parlent dans des langues de l’autre monde.

Sofia, le 7 mars 1996

(Extrait de « Jours tranquilles à l’Est », Editions Riveneuve, 2013)

« Monsieur, je veux être reporter de guerre »

C’était il y a quelques années, lors d’une journée consacrée aux métiers du journalisme. Il était accompagné de son père. Un gamin de quinze ans. Installé en face de moi, la tête rentrée dans les épaules, il m’a soufflé « Je veux être reporter de guerre ». J’ai croisé le regard du père, assis à ses côtés. Le bonhomme affichait un air qui disait « Je n’y peux rien, c’est comme ça ». Pendant quelques minutes, j’ai essayé de savoir ce que cet ado connaissait du journalisme en général et du reportage de guerre en particulier. Peu ou pas de réponses à mes questions. Je lui ai expliqué qu’il avait de toutes façons encore le temps de réfléchir et de s’informer sur ce qu’était ce métier. J’ai bien sûr fait remarquer que dans « reporter de guerre » il y avait d’abord « reporter ». Aller sur le terrain, observer, écouter, et ensuite raconter la scène, les événements dont on a été témoin. Je lui ai dit aussi que cela s’apprenait et que vouloir exercer comme « reporter de guerre » demandait une bonne pratique du journalisme, une bonne connaissance de l’actualité internationale, un certain courage aussi.

Le gosse ne m’écoutait pas vraiment. Il hochait un peu la tête et ne me relançait pas. Je n’avais pas envie de lui dire qu’il valait mieux ne pas être une tête brûlée pour faire du reportage de guerre. Avait-il envie, besoin, de changer de vie, de relever des défis ? Avait-il quelque chose à prouver ? Il est reparti, le dos un peu vouté. Son père a dit «Au revoir, monsieur, merci ».

Je repense souvent à cette séquence. J’ai beaucoup de respect pour les reporters de guerre, mais je tique lorsqu’ils se présentent, ou s’affichent, comme tels. Bien des journalistes font du reportage de guerre sans éprouver le besoin de montrer leurs muscles et cela me paraît bien préférable. Les reporters de guerre prennent des risques, c’est une évidence. Certain(e)s y laissent leur peau, c’est vrai aussi. Il y aurait beaucoup à dire sur les conditions dans lesquelles ils doivent parfois exercer leur métier, mais retenons qu’ils sont utiles, nécessaires, pour nous permettre de savoir ce qui se passe au cœur des conflits qui déchirent le monde. Cela dit, c’est vrai aussi d’un journaliste qui enquête sur les dérives des maisons de retraite.

L’idée que dans la tête d’un gamin de quinze ans « reporter de guerre » soit un métier qui fasse rêver est assez perturbante. Autrefois, on voulait être astronaute, pilote de chasse ou éventuellement présentateur du journal télévisé. Aujourd’hui, l’actualité est souvent un spectacle et les guerres sur écran peuvent fasciner de jeunes esprits en quête d’identité. Ceux-là ne veulent plus être simplement reporters. Pas non plus grands reporters (encore une notion qui prête à confusion). Ils veulent être reporters de guerre. Comme à la télé…